« Soustraction, détournement ou destruction de biens d’un dépôt public par le dépositaire ou un de ses subordonnées ». Derrière cette infraction, c’est une affaire peu banale qu’a dû juger le tribunal correctionnel d’Alençon, jeudi 26 mai, puisqu’à la barre, l’homme de 44 ans est un gendarme. Il lui est reproché d’avoir détruit sept dossiers dont il avait la charge alors qu’il commandait une brigade ornaise.
Les faits ont été mis à jour à l’été 2014, date à laquelle un nouveau commandant a pris ses fonctions.
Une enquête ouverte dans la foulée a fait ressortir que le prévenu « est plus un homme de terrain que de bureau ». « Les procédures judiciaires n’étaient pas votre tasse de thé », annonce le président qui liste « sept procédures (trois en 2012 et quatre en 2013) sorties des fichiers informatiques et passées au broyeur ».
“Dans une panique totale”
À la barre, le prévenu évoque une surcharge de travail. Il n’a pas « tiré la sonnette d’alarme » auprès de sa hiérarchie « car je suis militaire. Je dois avancer et ne rien faire paraître. C’est la vitrine ! J’avais aussi des ambitions et ma fierté… Ça m’a perdu ». L’accumulation de dossiers à traiter l’a plongé « dans une panique totale ». « Je n’ai pas calculé ce que je faisais. Je n’ai jamais cherché à nuire à qui que ce soit. » La suppression de dossiers « me permettait de souffler. C’était une bouffée d’air. Mais au final, ça a été un cercle vicieux ».
Le quadragénaire confie « être entré dans la gendarmerie pour faire du terrain, pas pour rester derrière un bureau. Ça m’a étouffé ». Il regrette « de ne pas avoir demandé de l’aide » et confirme un « aveu de faiblesse de dire qu’on est débordé ».
Il a fait l’objet d’une « mutation sanction » et a perdu son habilitation d’officier de police judiciaire.
“Il a péché par orgueil”
« Ce n’est pas le retard dans vos dossiers qui vous est reproché ce jour », rappelle le procureur de la République. « Mais la destruction de sept d’entre eux. Il y en avait 22 visés au total mais pour quinze d’entre eux, on a pu retrouver des archives. Sept n’ont pu être reconstitués et sont définitivement terminés. ».
Le représentant du Parquet d’Alençon rappelle que le prévenu encourt dix ans de prison et 150 000 € d’amende. « Le prévenu aurait pu, aurait dû demander de l’aide. Il a péché par orgueil et a trahi la confiance en commettant l’irréparable ». Il requiert douze mois de prison avec sursis et 1 500 € d’amende ainsi que l’interdiction temporaire de trois ans d’une habilitation d’officier de police judiciaire.
“Au bout du rouleau”
« Mon client a reconnu sa responsabilité », avance l’avocate de la défense. «Sa plus grande trahison, c’est la sienne sur ses compétences et ses capacités. Il s’est littéralement noyé et n’a pas trouvé d’autres gestes que de détruire des procédures, pour ne pas perdre la face vis-à-vis de ses collègues et de sa hiérarchie. C’est le geste de quelqu’un de désespéré, au bout du rouleau, dans l’incapacité de dire ses faiblesses ». Elle appuie sa plaidoirie sur l’expertise psychiatrique qui fait état « d’un épuisement professionnel” de son client “et d’une possible altération de son discernement concernant ses agissements fautifs ».
L’avocate conclut en donnant lecture des éloges « de sa nouvelle hiérarchie » et invite le tribunal à faire preuve d’indulgence « d’autant que les réquisitions mettraient un terme à sa carrière de gendarme ».
Le tribunal a finalement condamné le prévenu de 44 ans à huit mois de prison avec sursis et à 1 500 € d’amende. Comme pour tous les prévenus, il dispose, à la date du jugement, de dix jours pour faire appel de cette décision.