Né le 1er décembre 1920, à L’Aigle, premier emploi en 1934, syndiqué CGT depuis 1936, militant communiste depuis 1938, à la retraite depuis 1980. Michel Poilpré, 95 ans, a traversé le siècle. En militant.
Son engagement syndical est né en 1936, lors du Front populaire. Michel a alors 16 ans. Il travaille à la société de distribution de l’électricité de l’Ouest (SDEO), une des nombreuses entreprises privées qui seront regroupées dans EDF à la sortie de la guerre. « J’ai commencé à travailler à 14 ans après l’obtention de mon certificat d’études, mention bien », raconte celui qui vit désormais à Saint-Germain-du-Corbéis.
« J’avais été pris en main par mon instituteur, c’est lui qui m’a trouvé ce travail. J’ai commencé comme garçon de course, puis employé aux écritures, comptable, trésorier. » Michel a longtemps travaillé à la centrale d’Aube puis au centre de distribution d’EDF, d’abord à L’Aigle puis à Alençon. Ses neuf dernières années d’activité, il les passera comme président de la caisse d’action sociale d’EDF de l’Orne, l’équivalent du comité d’entreprise d’aujourd’hui.
Devenu vraiment militant à 27 ans
Un mandat syndical permanent qui vient clore une vie active passée à la CGT. « J’ai pris ma carte pendant le Front populaire alors que le taux de syndicalisation était très élevé », précise Michel Poilpré. « J’y suis allé seul, sans conseil, ni même de mes parents qui ont pris leur carte après moi. » L’Aiglon est alors seulement syndiqué et pas encore militant.
« J’étais encore jeune », pointe-t-il. « Pendant l’Occupation, j’étais très discret car je ne voulais pas aller dans les camps de la mort. » Atteint de la polio à un an, Michel Poilpré n’était pas mobilisable et savait que les cégétistes et les communistes étaient « mal vus par les Allemands ».
C’est en 1947 que le jeune homme est devenu militant. Pas en opposition à un système mais plutôt pour sauvegarder ce qui venait d’être créé par le ministre de la Production industrielle de l’époque, le communiste Marcel Paul : le statut national. « On ne se battait plus contre les patrons mais pour la sauvegarde de ce statut avec des garanties salariales, des valeurs. J’ai voulu m’engager pour que ce que nous avions obtenu perdure. »
« Pas des patrons »
« Ce statut national a toujours été contesté par le patronat, dès les années 50 », précise son ami Philippe Brossard, secrétaire général de l’Union départementale de la CGT de l’Orne. Ces « grandes luttes », des années 50 et 60, Michel Poilpré a du mal à s’en souvenir, sa mémoire lui jouant des tours. Heureusement, Philippe Brossard, son cadet de presque 40 ans jour pour jour, connaît bien les histoires de Michel.
« Quand je suis entré à l’EDF, en 1982, Michel était déjà à la retraite », s’amuse le responsable syndical. « On milite ensemble depuis. C’est un copain d’expérience et de grande écoute. » Figure de l’Union départementale de l’Orne, Michel Poilpré a notamment contribué à la création d’un syndicat à Moulinex.
Les années qui défilent n’empêchent pas Michel Poilpré de conserver un regard acéré sur l’évolution de la société. « Je refuse aujourd’hui qu’on parle de patrons. Aujourd’hui, ce sont des employeurs qui dirigent des entreprises pour gagner de l’argent. » Le patron, de l’avis du syndicaliste, c’était celui de ses parents, ouvriers de l’entreprise Bohin, une fabrique d’aiguilles à L’Aigle.
« Mon père était limeur et ma mère, trieuse d’aiguilles », raconte Michel Poilpré. « En 1936, les conditions de vie des travailleurs n’étaient pas reluisantes. Le patron de mes parents était une sorte de seigneur local. Certains étaient maires ou propriétaires des maisons de leurs ouvriers. Une sirène retentissait le matin pour faire venir les travailleurs. »
« J’ai milité dans du velours »
Puis la France a connu la reconstruction, le plein-emploi, les Trente glorieuses. « J’ai milité dans le velours », reconnaît Michel Poilpré. « Ça fonctionnait bien et c’était plus facile dans les grandes entreprises. »
Désormais, la lutte syndicale fédère moins. « Elle n’est pas à son maximum mais il ne faut pas lâcher la bride ! On reproche aux jeunes de ne pas suivre mais est-ce que les anciens les écoutent ou leur ouvre la porte. Je ne sais pas pourquoi, on s’explique peut-être mal. »
« C’est vrai que certains responsables ont du mal à laisser la place », confirme Philippe Brossard. « Michel faisait partie de ceux qui disaient « Place aux jeunes ! » »
« Le fait de voir une lutte syndicale en baisse, ça ne me rend pas confiant pour l’avenir », juge Michel Poilpré. « Les syndicats n’attirent plus. J’aimerais en discuter avec mes enfants mais personne n’ose. C’est dommage : je suis communiste depuis 1938 et je n’ai jamais dit à quelqu’un : « Tu as tort, viens au Parti communiste ! » »
Ses trois enfants, ses six petits-enfants et ses huit arrière-petits-enfants, Michel Poilpré les voit régulièrement dans sa maison de Saint-Germain où il vit seul avec son chien. « Il a toujours eu des chiens », témoigne Philippe Brossard. « Il s’est mis à l’ordinateur, il s’ennuie un peu depuis qu’il ne peut plus se consacrer à son hobby. »
Son hobby, c’est le bois. Dans son sous-sol, Michel Poilpré travaillait le bois avec une machine que ses compagnons lui avaient offert à sa retraite. Mais, depuis deux ans, « les jambes ne répondent plus ». « Je ne veux surtout pas aller en maison de retraite », lance-t-il. « Tant que je peux raisonner, je veux rester maître de moi ! » Et fumer la pipe.