Ceux qui restent s’accrochent, innovent, se diversifient. Et conservent l’âme de lieux souvent centenaires.
Café fumant, bière fraîche. Autour de la large table en bois, on trinque avec ou sans alcool, et on cause “actualités”.”Il est passé à la télé, l’autre soir, sur D8“. “Il” c’est le grand patron du coin, celui de la Roxane. Au Café de la Source, situé à quelques encablures de l’usine, on s’enquiert des nouvelles dès 7 h 30. Devant la cheminée en pierre, le ballet des habitués rythme la matinée. 11 h 30. Michel commande son galopin et déplie le journal. Rituel immuable.
Comme à la maison
Sur le comptoir du bar-brasserie de la Ferrière-Bochard, on s’épanche aussi. “Être à l’écoute, faire du social, ça fait partie de mon job“, témoigne Lucien Carvalho, patron rompu à l’exercice.
À force de confidences, des clients sont devenus des amis. C’est là, le charme du bistrot rural : “La proximité“. Ici, beaucoup se sentent comme chez eux. Et les plats mitonnés maison sont souvent ceux réclamés la veille. “On veut faire plaisir, alors on demande aux clients le menu qu’ils souhaitent“.
La clientèle ? “Essentiellement des ouvriers, de plus de 40 ans“. Ce qu’elle vient chercher : de la simplicité, un accueil chaleureux. Des ingrédients qui façonnent la fidélité. Mais l’attachement est friable : le bistrot de campagne, bien que séduisant, est en voie d’extinction. À la Roche-Mabile, Champfrémont, Tanville, et plus récemment, Ciral, il a disparu. Évolution des modes de consommation, concurrence féroce des chaînes de restauration, hausse des charges, désertification de certains bourgs, de certains axes routiers… l’agonie est multifactorielle.
Au Café de la Source, on vient toujours casser la croûte et avaler son demi. Mais les affaires ne sont plus ce qu’elles étaient. “La conjoncture est difficile, pour rester il faut s’accrocher“, observe le gérant. Le midi, ce n’est plus 30 mais 15 couverts qui sont dressés.
Innover, diversifier
Pour pallier le manque à gagner, le commerçant organise des soirées à thème (pizzas, grillades, coucous…). Lucien Carvalho diversifie aussi ses activités : depuis deux mois, il sillonne les communes environnantes avec son camion. Le food truck propose des spécialités grillées au charbon de bois. Un concept qui séduit.
Le quinquagénaire peut également encore compter sur les jeux à gratter – “Ils font un malheur. Les ventes s’élèvent à 8 000 € par mois” – et le tabac – “Si les ventes ont chuté de 25 %, elles restent toutefois conséquentes”.
Autre adresse séculaire : les Trois forêts, au lieu-dit “les Choux”. Le bar-restaurant est le dernier à subsister sur l’axe Sées-Carrouges. Les gérants – Maria et Michel Chesnais – l’ont repris il y a onze ans. Depuis ? “On vivote“, avouent-ils. Le bar ? “Ça ne fonctionne pas. On ne boit plus quand on conduit”.
Si l’activité se maintient, c’est grâce au restaurant. Chaque midi, l’atmosphère est bouillonnante dans la spacieuse salle-à-manger. La recette ?
“De la simplicité, un menu très accessible et varié, avec des plats espagnols, mexicains…”, répond le patron-cuistot qui ne compte pas ses heures.
Autour de la table, beaucoup de liens d’amitiés se sont tissés entre forestiers, ouvriers, personnes âgées :
“C’est une grande famille. Tout le monde se connaît, se salue. C’est à la bonne franquette. Sans prétention”.
On chante, on rit. Mais ça ne suffit pas. Alors, le week-end, les Chesnais se consacrent à leur activité de traiteur. Pas de répit. Jusqu’à quand ? “Nous pensons à vendre, pour reprendre une affaire plus petite, qui demande moins d’investissement”, répond Michel Chesnais.
Quel avenir pour le bistrot de campagne ? “Je pense que d’ici quatre ans, les bars-brasseries ruraux auront disparu“, lâche le quinquagénaire.
Fini le comptoir en bois massif, la déco surannée et le carrelage rétro ? Pas tout à fait.
Du passage = des clients
Quelques irréductibles peupleront encore les villages. Notamment ceux qui sont au contact d’un trafic routier dense. Comme à Saint-Denis-sur-Sarthon, où le “Café de la mairie” borde la N12. Les 11 250 véhicules qui traversent chaque jour la commune font un heureux : le gérant du bar-presse-loto.
“L’activité est bonne. Je travaille avec des locaux, mais aussi et surtout avec une clientèle de passage”, indique Sébastien Lacroix, qui a repris l’affaire il y a un an et demi. Idéalement placé sur l’axe Paris-Bretagne, le bar réalise 70 % de son chiffre d’affaires avec des touristes entre juin et septembre. “J’ouvre dès 7 h, je sers le petit-déjeuner ou de la restauration rapide”.
Certains vacanciers deviennent ainsi des habitués. À l’image d’Huguette et Roger. En route pour la Mayenne, ils faisaient une halte au “Café de la mairie”, mardi 27 octobre.
“Parce qu’ici c’est tranquille, on peut stationner facilement, et le patron est sympa”, livre le couple.
Outre la cohorte de touristes apportée par la N12, le bar peut aussi compter sur des voisins attractifs : entouré par un dépôt de pain et une boucherie, le troquet devrait encore servir pléthore de tournées.
Le bistrot et son argot
Le bistrot c’était tout un univers, une gouaille argotique. Les “vaccinés du salpêtre” venaient “zinguer” (boire un verre au comptoir), “s’humecter la dalle”, “remplir leur gazomètre” ou se faire offrir un “monocle” (verre à l’œil). On n’y consommait peu “d’anisette de barbillon” ou bouillon de canard” (eau), mais plutôt un “enfant de chœur” ou une “fillette” (chopine de vin rouge). On y célébrait ceux qui n’ont pas le “vin petit”, ni “la cuite mesquine”.