“De mon temps, ça ne se serait pas passé comme ça. Mais alors certainement pas. Car de mon temps on avait de la tenue, on avait le sens des valeurs, de l’honneur, de la cérémonie, du sacré. On ne se serait pas contenté de pavoiser un bout de rue mais tout le centre-ville, et fleuri en plus de ça, des chrysanthèmes, c’est la saison, c’est joli les chrysanthèmes et en plus ça aurait fait la liaison avec la Toussaint, d’une pierre deux coups. Et puis, après la messe et la retransmission sur grand écran, on serait allé chercher les reliques, paraît qu’il y a des reliques, et on aurait mis le reliquaire au pied de la statue de la Madone sur le portant, et ça pèse tout ça, alors quatre beaux gaillards, le teint encore hâlé des moissons toutes proches, auraient hissé le tout sur leurs solides épaules et on aurait fait cortège derrière eux. Les ecclésiastiques d’abord tout en blanc, suivis des enfants de chœur, aube rouge et surplis blanc, portant la croix, la bannière et tout l’attirail, puis seraient venus le Maire et tout le conseil municipal et enfin la population tout entière en habits du dimanche. On aurait remonté la Grande rue puis la rue St-Blaise en chantant des cantiques : pas de problème au carrefour, pas d’agent puisque pas de voitures, tout le monde aurait été à pied. Et on se serait arrêté devant la maison natale, en tournant le dos à la préfecture, la gueuse. Là la foule se serait tue pour écouter une demoiselle Lelonbec et enfin les discours : “ Entre ici Ste Thérèse ! “, “veux-tu rentrer à la maison ? “, “chez nous, sois la Reine ! “, car chez toi, c’est ici, Thérèse, tu n’aurais jamais dû quitter Alençon si, comme l’a judicieusement rappelé l’Orne Hebdo d’il y a 2 semaines, ta pauvre mère n’avait pas eu la mauvaise idée de mourir prématurément. Et c’est alors nous qui aurions une belle basilique en forme de pièce montée avec ses jolies boutiques tout autour, et non pas ces Lexoviens de m…, de malheur, qui nous bouffent le pain bénit sur le dos depuis bientôt 90 ans, et que, y’a pas de raison, on a droit à une part du gâteau, même si ce n’est plus ce que c’était, même si on raté le meilleur, le temps où on révérait le travail, la famille, la patrie, même s’il ne reste que des miettes, elles sont à nous et on va les prendre.
Après, on serait allé festoyer, les uns chez les autres ou dans les restaurants, pleins à craquer, tous ouverts pour l’occasion, même le kebab.
Mais ça, c’était dans le temps. Un temps où on avait de la religion et où on le faisait savoir. Un temps où la France, fille aînée de l’Eglise, avait encore du mal à accepter que le cordon avait été coupé dans le sang deux cents ans avant et la séparation inscrite dans la loi un siècle plus tard.
Un temps révolu. Aujourd’hui le Chevalier de la Barre pourrait garder son chapeau et, jusqu’à il y a peu de temps, on n’entendait pas parler de laïcité, on n’avait pas besoin, elle allait de soi.
Alors, voir la ville pavoisée aux couleurs de l’événement retransmis en public, voir le Maire, accompagné du Président de région, aller faire des courbettes à Rome, le délégué à la culture jouant les reporters photographes pour la presse locale, ça me hérisse.
Je sais. Derrière tout ceci, il y a un enjeu économique, celui du tourisme religieux. Il y a même des analyses cyniques qui prétendent que la Dentelle, insuffisante à elle seule, voit dans la maison natale un allié de poids pour retenir une nuit de plus les visiteurs, une nuit d’hôtel.
Peut-être, mais si la religion décide de s’acoquiner avec les “marchands du temple”, c’est son affaire, pas celle de la république. Et sincèrement, croit-on que le moulin à prières va remplacer le moulin à légumes ? Et dans dix ans l’Orne Hebdo titrera sur les retombées économiques de la canonisation comme elle le fait aujourd’hui pour l’autoroute qui, en son temps, devait désenclaver Alençon ?
Mais si l’argent n’a pas d’odeur, pourquoi alors jouer “petits bras “ ? Pourquoi ne pas prendre ce qui rapporte : le jeu, le sexe ? Faire d’Alençon notre Las Vegas ?
Encore une fois… trop tard ! Car, si avec la Dentelle les ouvertures étaient évidentes, avec la religion c’est plié !”.
Pascal GONZALEZ
PS : Dans le même ordre d’idées, va-t-on voir à la Ste Geneviève la maréchaussée nous faire une belle marée d’uniformes bleus sur le parvis de la basilique, dans la belle alliance du sabre et du goupillon ?
Nota. cet article est paru dans la rubrique “Paroles de lecteurs” du 27 octobre.
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Moulin-légumes et moulin à prières
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