Lui avait un cache-col à petits pois, un béret basque et les cheveux gominés. Un style espagnol, ravageur. « Il était bel homme. Les femmes lui couraient après », se souvient Éliane. Celle qu’il a choisie.
« J’étais pas mal ! »
Elle, 17 ans, réservée, a résisté. Un peu. « Je n’étais pas Miss Monde mais j’étais pas mal ! Il m’a dit qu’il cherchait une amie, une camarade. Qu’il aimerait que ce soit moi ». Nous sommes en 1941. « Un soir, il m’a raccompagnée chez moi, au Chevain. Il m’a embrassée ». Conquise, Éliane lui a offert son coeur. À Gabriel, l’unique homme de sa vie, elle a dit « oui », le 10 janvier 1942.
Le couple a de nouveau échangé ses vœux devant le maire d’Alençon, 75 ans plus tard, samedi 14 janvier.
« J’ai épousé deux femmes »
Aujourd’hui, Éliane et Gabriel Ballanger ont respectivement 93 et 99 ans. Elle n’a rien perdu de son élégance. Lui a gardé le sens de l’humour : « J’ai épousé deux femmes », plaisante-t-il. Car une fois la nuit de noces passée, il s’est installé avec Éliane… et sa mère, Jeanne. Celle qu’il avait dû convaincre quelques mois plus tôt, en juillet : « J’étais allé lui demander la main de sa fille. Elle m’a questionné pour savoir si je buvais et si j’étais coureur de jupons ». Gabriel a plu : « Elle m’a proposé de rester dîner ».
Éliane, elle, avait déjà donné son consentement. La demande ?
« Il l’a faite un soir, au coin de la rue Cazault, à Alençon. Comme ça, sur le trottoir, il a sorti une bague de sa poche ».
Quels souvenirs ont-ils du mariage ? « C’était un jour heureux mais nous étions en deuil. La guerre battait son plein. J’avais un frère prisonnier et l’autre avait disparu en mer. J’ai appris plus tard que son avion avait été abattu », répond Éliane. Ce 10 janvier 1942, c’est drapée dans un manteau cousu avec la cape noire de son frère, que la mariée fait son entrée à la mairie du Chevain. Pas d’agapes ni de mondanités. « C’était très simple, en petit comité. On a mangé une poule au pot », raconte la native de la Marne.
Le ménage à trois va vite être bousculé par la guerre. Pour fuir les Allemands, le trio s’exile. Direction Bordeaux, puis le Tarn. « Je m’étais procuré de faux papiers », rapporte Gabriel. « On ne se rendait pas bien compte du danger, mais nous avons réagi d’une façon extraordinaire ».
De retour à Alençon, en 44, Gabriel Ballanger a repris ses fonctions au siège du Crédit Agricole (il a débuté comme coursier et a terminé sa carrière au poste de sous-directeur). Plus tard, le passionné d’aviation a donné de son temps à Nord Ouest aéro et a notamment construit le bar-brasserie L’Envol, avec des amis. Éliane a travaillé chez Prisunic, avant de se consacrer aux enfants : Gérard (né en 1945 et décédé il y a 10 ans), Patricia (1951) et Catherine (1965). Elle a aussi pris soin de sa maman, « mémé Jeanne », avec qui la famille a vécu jusqu’à la fin.
« C’était lui »
En 75 ans de vie commune, il y a eu des hauts et des bas : « J’ai parfois été très jalouse », confie Éliane. Gabriel, lui, pouvait « faire la tête pendant trois semaines ».
Mais une certitude n’a jamais été ébranlée : « C’était lui ». Lui, le seul homme qu’elle ait aimé. « Je ne me suis jamais imaginé avec quelqu’un d’autre. Ça ne m’est jamais venu à l’esprit ». Gabriel, un poil cynique - « C’était pour mon portefeuille » – acquiesce pudiquement. Vieillir ensemble est une belle aventure – « On s’entend toujours aussi bien, peut-être mieux », une fierté partagée par enfants et petits-enfants (c’est l’un d’eux qui a eu l’idée de célébrer les 75 ans de mariage).
« Toutes ses dents ! »
Reste à leur souhaiter encore beaucoup de bonheur. Car le couple d’Alençonnais a la forme – « Gabriel va avoir 100 ans mais il a encore toutes ses dents et une excellente vue », confie l’épouse admirative – et est inséparable : « Dès qu’il ne me voit plus dans l’appartement, il me cherche ! ».
Cinq générations à leurs noces d’albâtre
« C’est la première fois, depuis que je suis maire, que je célèbre des noces d’albâtre ! » Joaquim Pueyo n’a pas caché sa fierté de célébrer les 75 ans de mariage d’Éliane et Gabriel Ballanger, samedi 14 janvier à l’hôtel de ville d’Alençon.
Un arrière-arrière petit-fils de deux mois
Face au député-maire, le couple qui s’est connu « en 1941 par l’intermédiaire d’amis communs » a, non sans émotion, renouveler ses consentements. Si le « oui » d’Éliane fut franc et clair, Gabriel, qui fêtera ses 100 ans le 21 août, ne s’est pas dépourvu de son légendaire sens de l’humour en laissant planer un petit suspens, avant de clamer, haut et fort, le même « oui » qu’il y a 75 ans.
De quoi amuser l’assemblée composée notamment des cinq générations que compte désormais cette famille. En effet, les trois enfants d’Éliane et Gabriel leur ont donné trois petits-enfants, cinq arrières petits-enfants et, depuis le 31 octobre 2016, un arrière-arrière petit-fils prénommé Raphaël.
« Le succès d’une telle union réside dans le fait de savoir autant parler à l’autre que de l’écouter, et parfois même dans le silence », a confié Joaquim Pueyo avant de citer André Maurois : « Un mariage heureux est une longue conversation qui semble toujours brève ».
« On a de la chance de vous avoir à nos côtés en bonne santé. Vous êtes des parents formidables », ont témoigné Patricia et Catherine, les filles du couple, avant de conclure, pour le moins émues : « On vous aime ! »
