Chaque année, dans l’Orne, une dizaine de patrons ayant déposé le bilan se donne la mort. Un chiffre traduisant une terrible réalité : « Pour beaucoup, l’entreprise est comme un bébé. La liquidation judiciaire est donc souvent assortie d’une profonde déprime. C’est toute une vie qui s’écroule », rapporte Jean-Luc Adda, président du tribunal de commerce d’Alençon (ayant compétence départementale). Lors des audiences dédiées aux procédures collectives, le lundi, les juges consulaires sont témoins de la détresse – « Je vais me flinguer, on l’entend parfois » – mais impuissants : « Nous ne sommes pas psychologues ».
Cherche financements
Pour épauler les débiteurs, il existe un dispositif national : l’Apesa – Aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aiguë. Imaginé il y a trois ans par le greffier du tribunal de commerce de Saintes (Charente-Maritime) et un psychologue, le service est très utilisé. Jean-Luc Adda aimerait le mettre en place dans l’Orne. « Nous sommes à la recherche de financements, mais nous allons y arriver », promet-il. Le président va frapper à la porte du RSI (Régime social des indépendants), de la Caisse d’assurance retraite, de l’ARS (Agence régionale de santé), et du Conseil régional. L’objectif : réunir 5 000 €. Et mettre en œuvre l’Apesa en 2017.
Comment fonctionnera l’aide ? « Grâce à un réseau de cinq psychologues formés aux procédures collectives. Ils auront pour mission d’appeler les entrepreneurs en détresse ». Des chefs d’entreprises « en souffrance aiguë » et signalés par les sentinelles que sont les juges, le greffier, les avocats.
« Nous enverrons une fiche aux psychologues. Si le dirigeant accepte de dialoguer, il pourra bénéficier de cinq appels du professionnel de santé ».
Au-delà, il sera orienté pour un suivi à long terme.
L’intérêt ? « Discuter, être écouté, se confier. En parlant, les choses sont mieux acceptées », répond Jean-Luc Adda. Le dispositif permet aussi de faire sauter certains verrous : « Il y a des patrons murés dans le silence. Ils ne se livrent même pas à leurs proches ».
Une attitude souvent vérifiée dans l’Orne où « on ne parle pas de ses soucis », « on met la tête dans le sable ». Mais, rendues taboues, les difficultés grandissent.
« Venez tôt »
Pour ne pas être aspiré dans la spirale des quatre D – dépôt, déprime, divorce, décès – le président du tribunal de commerce d’Alençon rappelle qu’il est impératif d’agir dès les premiers symptômes. Depuis janvier 2013, l’Orne est pourvue d’un CIP – Centre d’information et de prévention. Animée par d’anciens juges consulaires, la CCI (Chambre de commerce et d’industrie), les barreaux d’Alençon et Argentan, des experts comptables et commissaires aux comptes, l’instance se réunit régulièrement et accueille les justiciables (à Alençon, Sées, Argentan, Flers et L’Aigle) pour évoquer les pistes et solutions à mettre en œuvre face aux difficultés économiques. En 2016, une trentaine d’entretiens a été sollicitée.
Mais, souvent, les patrons viennent « trop tard » et ne peuvent éviter le redressement et la liquidation. Pourtant, le volet « prévention » du tribunal de commerce (géré par trois juges) propose d’autres options : le mandat ad hoc (permet de geler une ou deux dettes, de les échelonner, les renégocier) et la conciliation (permet de renégocier l’ensemble des dettes) fonctionnent dans « 70 % des cas ». À noter que les deux procédures sont « amiables et confidentielles ».
À quel moment se manifester ? « Quand il n’y a plus assez de travail pour l’ensemble des salariés, quand la banque commence à grincer des dents, quand l’entreprise fait face à des problèmes de recouvrements de créances Urssaf, TVA, caisse de retraite, etc. Et, tout simplement, quand le bilan est mauvais ».
CIP : 02 33 82 82 60. Greffe du tribunal de commerce : 02 33 26 17 55.