Wilfried, 36 ans : “Ça fait plus de mal d’en manquer que de bien quand on ne prend”
Il a choisi le prénom de Wilfried pour témoigner. « C’est celui de mon meilleur pote ! », confie ce Normand de 36 ans pour qui l’amitié a véritablement pris tout son sens il y a quelques mois. « En septembre, je suis parti du Calvados où je vivais. J’ai tout plaqué. Pour fuir mes dealers et tout ce milieu de la drogue. Mes vrais amis ne savaient pas que j’étais tombé dans l’héroïne. Mais aujourd’hui, ils m’appellent pour prendre de mes nouvelles ».
« J’ai tout perdu en peu de temps »
Des contacts qui lui font chaud au cœur. Comme celui qu’il entretient avec Myliane, la psychologue de Drog’Aide 61. « C’est Coallia et le Csapa (Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie) de la rue Odolant-Desnos qui m’ont orienté ici. Le plus dur, ça a été de franchir la porte. Mais après, ça fait du bien. Je n’ai pas besoin de kit (de matériel, ndlr). Je viens là juste pour parler et ça me soulage. Ça enlève un poids ».
Il y a deux ans encore, Wilfried menait une vie que l’on pourrait qualifier de banale : une compagne, un boulot de manutentionnaire, une maison, des amis. « Et j’ai appris que ma compagne me trompait ». Sa vie bascule. À la rupture sentimentale, s’ajoutent les ruptures professionnelle et sociale. « J’ai tout perdu en peu de temps : ma copine, ma maison, mon travail ». Certains de ses amis « tapaient » dans l’héroïne. « Mais je n’y avais encore jamais touché. J’ai franchi le pas ». Il la sniffe une fois. Puis deux. Puis devient addict. « Je sentais que je tombais dans la mauvaise spirale. Au bout de six mois, je me suis dit qu’il fallait que je me casse sinon j’allais tomber plus bas encore ».
Il fait ses « valoches ». Un sac en tout et pour tout. Et « taille la route ». « Au départ, je suis allé au Mans. Ça ne faisait pas trop loin de chez ma mère au cas où il lui arrive un pépin et que je doive rentrer à ses côtés », reconnaît ce grand gaillard à l’amour maternel inconditionnel.
« C’est chaud de dormir la nuit, dehors »
Dans la Sarthe, il côtoie la vie nocturne des Sans Domicile Fixe. « C’est chaud de dormir dehors la nuit. On ne sait pas sur qui on peut tomber. Une nuit, à la gare, je me suis fait voler mon sac avec tous mes papiers ! Après, j’ai fait la connaissance de deux personnes, à la rue, comme moi. Elles m’ont proposé de passer la nuit à leurs côtés, sous le tribunal. En groupe, c’est plus rassurant. Et eux avaient des chiens. Ça aide ».
Puis il fait appel au 115. « Mais c’était toujours complet. On m’a conseillé d’appeler dès 9 h du matin pour avoir une place. Ce que j’ai fait dès le lendemain et c’était déjà complet à 9 h ! » Après une semaine de nuit dehors dans les rues du Mans, Wilfried migre sur Alençon. « Là, j’ai fait le 115 et j’ai tout de suite été accueilli à Coallia. J’y suis resté trois nuits. Après, on m’a proposé un hébergement dans d’autres centres à Flers et Argentan. Mais j’ai refusé. Du coup, ils ont insisté pour savoir pourquoi je ne voulais pas bouger. Et j’ai fini par leur expliquer mon parcours dans la drogue ».
« Des suées puis froid et mal partout »
Aussi « grâce à cette équipe super-sympa », Wilfried est entré dans un processus de prise en charge. Du dortoir d’hébergement du 115, il est passé en chambre individuelle dans le cadre du « LHSS » comme Lit Halte Soin Santé, « pour se retaper ». Direction : le Csapa pour des soins médicamenteux et Drog’Aide 61 pour une aide psychologique. « Je suis sous Suboxone. C’est un médicament qu’on pose juste sous la langue. On ne peut pas l’écrabouiller. Comme cela, je suis sûr de ne pas pouvoir le sniffer. Je ne veux plus de ce geste de sniffe. »
Dans l’échange avec sa psychologue, il a réussi à identifier ses manques. « En fait, je prenais de l’héro que le soir. Sinon, en journée, ça me mettait en mode zombie. Du coup, c’est le soir que je ressentais le plus le manque ». Un manque qui prenait la forme « de suées puis de froid. On ne se sent pas bien. On a mal partout : aux bras, aux jambes. On se met en fœtus pour diminuer le mal ». Jusqu’à la prochaine prise. « Avec l’héro, j’oubliais tout. Je me sentais bien. Je planais. Mais quand y’a plus de produit à taper, le manque reprend ». Et au final, « ça fait plus de mal d’en manquer que de bien quand on en a ».
En Drog’Aide 61, il voit « la porte de sortie » de son parcours de toxicomane. « Il faut juste oser la franchir », annonce ce volontaire non sans convenir que « c’est sûrement plus facile à faire quand on est dans la dope depuis six mois que lorsqu’on y est depuis deux ans ! »
Désormais, Wilfried « essaie d’avancer ». Objectif : trouver un logement puis un travail « de manutentionnaire ». Pour cela, il consacre ses journées aux démarches chez les bailleurs sociaux, l’administration et Pôle-Emploi. Mais réserve chaque semaine, un ou deux créneaux à sa psychologue Myliane. Pour faire le point et recharger ses batteries d’énergie positive.
Michel, 28 ans : « La montée d’adrénaline du shoot, c’est comme un braquage »
À 28 ans, Michel compte déjà dix ans « de shoot » à l’héroïne. « Ma copine sniffait. J’ai voulu essayer. Et je suis tombé dedans. Après, comme ça ne nous faisait plus rien, on s’est piqué ».
La rupture avec son amie lui a fait prendre quelques distances avec la drogue. « Je suis capable d’arrêter deux ou trois mois. Je passe alors au Subutex ou à la Méthadone. Mais pas les deux en même temps parce que ça ne se marie pas ! Et puis je reprends. Parce que j’aime la montée d’adrénaline du shoot. C’est comme un braquage ! Tu ne sais pas ce qu’il y a derrière la porte. Ça met bien… » Jusqu’au manque. « Mais ça va, j’arrive à gérer. Aujourd’hui, il est 15 h et je ne me suis même pas encore fait un shoot. Alors qu’à une époque, j’en faisais dix par jour ! »
« L’héroïne, c’est la drogue du pauvre »
Chez Drog’Aide 61, il vient chercher du matériel. « C’est bien parce que ça évite de se passer les seringues et d’attraper le sida ou les hépatites. Et surtout c’est gratuit ici. Parce qu’en pharmacie, au final, ça finit par coûter cher quand il en faut une dizaine par jour ».
Or, son budget est déjà largement consacré à ses dépendances : « Le Subutex aussi, ça coûte cher. » Et l’héroïne ? « C’est la drogue du pauvre ! »
Pourquoi cette appellation ? « Parce qu’elle est plus répandue qu’avant et que sa qualité diminue. On nous a rapportés, ici, qu’elle est parfois coupée avec du fond de teint, du verre pilé. Ou de la farine pour la cocaïne », signale Myliane, la psychologue de Drog’Aide 61.
« C’est horrible car la farine, ça bouche les veines. À cause de cela, j’ai un ami qui a fait une OD (Overdose, ndlr) ! », déplore Michel qui convient « qu’à Alençon, ce n’est pas trop compliqué de trouver de la cam’. Même si parfois faut faire quelques kilomètres ».
“Chez Drog’Aide, on peut se poser”
Il estime à « 100 € environ, par semaine », son budget consacré à la drogue. « Quand je n’ai pas assez d’argent, je ne mange pas ». Il vit « d’une rente » mais « ça ne va pas durer ». Alors, il essaie de se projeter. « Il faudrait que je passe à la gélule au lieu du sirop pour arrêter complètement. Et que je trouve un boulot. Je voudrais travailler dans un CAT, auprès des gens en difficulté ».
Il aimerait aussi apporter son concours à l’association Drog’Aide 61, « sur les festivals notamment, pour dire aux jeunes qu’il ne faut pas prendre de drogue ou alors ne pas prendre le matériel des autres ». Mais, pour le moment, il se dit « pas disponible ». Il sait cependant s’y rendre pour « faire le plein de matériel » chez Drog’Aide 61. Mais pas seulement. « Ici, on peut se poser, boire un thé et discuter ». Avec Wilfried (lire ci-dessus) notamment, qu’il retrouve régulièrement.