Concilier entretien et respect de l’environnement n’est pas chose facile. Longtemps, les communes françaises, par facilité, ont utilisé pesticides, herbicides et autres fongicides pour se débarrasser des mauvaises herbes sur la voirie ou pour éliminer maladies et « envahisseurs » dans leurs espaces verts.
Les cours d’eau contaminés
Cette méthode, moins coûteuse et plus rapide que l’entretien « manuel », a un impact non négligeable sur la biodiversité. Une fois aspergés sur les plantes, les produits chimiques terminent bien souvent dans les cours d’eau. D’après le ministère de l’Environnement, en 2013, la présence de pesticides est avérée dans 93 % des points de surveillance des cours d’eau français. La même année, seulement 30 % des points de mesures des eaux souterraines étaient exempts de contamination aux pesticides.

Après l’agriculture, les collectivités locales sont les plus gros consommateurs de produits phytosanitaires. Bientôt, les particuliers ne pourront plus les utiliser. Pour donner l’exemple, les communes qui en utilisent encore devront apprendre à s’en passer.
Et pour les particuliers ?
L’usage de produits phytosanitaires (pesticides, herbicides ou fongicides) sera interdit aux particuliers à partir de 2019. Comme les collectivités, les jardiniers amateurs devront donc trouver des alternatives aux produits chimiques.
Initialement prévue pour 2022, cette interdiction a été avancée.
Pour aider à l’application de cette interdiction, la vente en libre-service sera interdite dès le 1er janvier 2017. Dans les magasins, les produits seront sous-clé et accessibles uniquement après conseil personnalisé par un personnel formé.
Actuellement, il est interdit, y compris pour les agriculteurs, d’asperger des produits chimiques à moins de 5 mètres des mares, sources, cours d’eau ou puits, et à moins d’un mètre des fossés, bassins pluviaux, zones humides, avaloirs, bouches d’égouts ou caniveaux. Les distances peuvent varier, il est donc important de consulter l’étiquette du produit.
En cas d’infraction, les peines peuvent aller jusqu’à 75 000 € d’amende et 2 ans d’emprisonnement.
Quant à l’entretien des trottoirs, le maire est en droit de l’attribuer aux riverains. Pour savoir s’il vous revient de désherber le trottoir jouxtant votre habitation, il faut se reporter aux arrêtés ou règlements municipaux de votre ville.
Un choix fort
Certaines communes du pays alençonnais ont déjà sauté le pas : Cerisé, Condé-sur-Sarthe, Damigny ou Le Mêle-sur-Sarthe par exemple. Dans la préfecture du département, depuis trois ans, plus aucun produit phytosanitaire n’est aspergé sur les trottoirs ou dans le sol, sauf sur les terrains de football, qui demandent un entretien particulier. L’usage de pesticides pour les terrains de sports sera d’ailleurs toléré après 2017.
Mais là encore, la ville d’Alençon a fait des efforts. « Cette année, nous avons utilisé seulement 4 litres de produits sur les 18 terrains de la ville », se félicite Jean-Michel Pichard, responsable des espaces verts dans la cité des Ducs.
« Dès 2007, nous avons arrêté l’utilisation de produits chimiques dans les espaces verts. Les produits chimiques ne sont plus utilisés dans les espaces publics depuis 2012, et dans les cimetières depuis 2013. »
Selon lui, « c’était un choix fort à l’époque, qui nécessitait une réorganisation et des investissements alors que nous n’y étions pas obligés ». Passer au désherbage dit « manuel » demande plus de main-d’œuvre et surtout un travail sur la longueur.
« Avant, le désherbage avec produits se faisait aux mois d’avril/mai et éventuellement un rattrapage en septembre. Désormais, cela s’étale de février à octobre/novembre avec beaucoup de travail au printemps. »
Des alternatives
Les services espaces verts et voiries de la ville ont dû s’adapter et utiliser des nouveaux matériels. Dans les rues, le pulvérisateur a cédé la place aux désherbeurs thermiques, autrement dit au gaz, pour brûler les mauvaises herbes. L’eau chaude ou le brossage mécanique sont d’autres alternatives utilisées par la ville.
Dans les espaces verts, c’est une véritable « nouvelle manière d’agir » qu’ont dû mettre en place les services. Concrètement, ils ont abandonné le chimique pour le biologique en mettant en place la lutte intégrée, qui décourage le développement des populations d’organismes nuisibles. Par exemple, les jardiniers peuvent intégrer d’autres insectes ou champignons prédateurs naturels pour combattre les ravageurs. On parle alors « d’auxiliaires de culture ».
Une transition délicate
En 2017, les collectivités pourront toujours utiliser des produits de bio-contrôle, des produits végétaux à asperger sur les plantes, comme le phytosanitaire. « Mais nous n’en n’utilisons pas à Alençon car produit naturel ne veut pas dire sans conséquence sur l’environnement », se justifie Jean-Michel Pichard. « Mettre du sel ou du vinaigre, des produits naturels, est mauvais pour la qualité du sol et de l’eau », argumente-t-il.
« Certains produits de ce type peuvent avoir une action similaire aux herbicides. Ils sont donc à utiliser de manière très limitée et sur des sols perméables pour éviter qu’ils se retrouvent dans le caniveau. »
Abandonner les produits phytosanitaires a demandé beaucoup d’efforts, à la ville comme à ses employés. La transition a été délicate à mettre en place. Les méthodes alternatives demandent plus de moyens, humains et financiers. Au point que les élus locaux ont, un moment, hésité à faire machine arrière. « C’est ce qui s’est passé à Lyon », lâche le responsable des espaces verts alençonnais.
Avant le changement, Alençon dépensait “entre 5 000 et 7 000 € par an en produits”. Désormais, rien que le gaz coûte 3 500€ à la ville, auxquels il faut ajouter le nouveau matériel et surtout les heures de main d’oeuvre supplémentaires même “si les effectifs sont restés stables”.
Cimetières : sujet sensible
Surtout, les habitants ont aussi dû apprendre à se faire à une ville un peu moins « clean ». « Cela a été difficile pour les jardiniers qui prennent des remarques sur le terrain », reconnaît Jean-Michel Pichard. « Mais ils ne retourneraient pas à l’utilisation de pesticides car ils savent aussi que c’est meilleur pour leur santé. »
Les cimetières ont galvanisé la majeure partie des mécontentements. « Leur entretien est un sujet sensible. Pour les gens, une mauvaise herbe, c’est sale. Il faut que rien ne dépasse. »

Au lieu de s’acharner à enlever les plantes invasives, la ville a fait le choix de… mettre plus de verdure dans les allées, aujourd’hui gazonnées. « Cela donne un aspect plus vert aux cimetières ».
« Aujourd’hui, les choses vont mieux même s’il faut encore réfléchir à comment améliorer notre gestion des espaces publics. »
Mais Jean-Michel Pichard ne regrette ce choix pour rien au monde :
« Alençon a été l’un des précurseurs du zéro phyto dans l’Orne. Or ce sera bientôt la règle. L’avance que l’on a prise n’est donc plus à prendre aujourd’hui. »