« J’ai voulu rétablir un équilibre dans sa biographie ». Pour comprendre cette réflexion de Bernard Loustalot, médecin à l’hôpital d’Alençon, il suffit de jeter un œil sur les plaques de rue. À Alençon, il est médecin des armées d’Égypte. À Essay, il est médecin de la grande Armée. Dans le sillage de Bonaparte à Alençon, dans la foulée de Napoléon à Essay.
Pourtant, Desgenettes n’a jamais suivi aveuglément celui qui a régné sur la France et l’Europe durant une vingtaine d’années. « Fidèle mais pas inconditionnel », souligne le médecin féru d’Histoire.
Pas le même travail
Au départ, les relations entre les deux hommes étaient bonnes, puis sont devenues « inexistantes ».
Ils n’exerçaient pas le même métier. En témoigne l’affaire des pestiférés de Jaffa, en Syrie. Le militaire Napoléon souhaite achever les malades pour avancer. Le médecin Desgenettes objecte : « mon métier est de guérir les hommes, non de les tuer ». Sous-entendu : « s’il faut empoisonner les condamnés, ce n’est pas à moi de le faire ». Les prémices du débat sur l’euthanasie et sur la subordination des médecins à l’administration.
Et puis, à la même époque, Napoléon estime que Desgenettes n’a pas su prévenir et guérir une épidémie de peste.
Encensé par les ennemis
De toute façon, pour Napoléon, seuls comptent les militaires. Il suffit de voir le nombre de disciples d’Hippocrate anoblis. Un nombre fruit d’un certain ostracisme.
Et puis Desgenettes a le tort d’être encensé par des ennemis de l’Empereur : Lucien Bonaparte, Dolomieu, Kléber, Junot, Bernadotte…
Cela n’empêche pas Napoléon de le rappeler auprès de lui, en 1806 : « pourquoi m’a-t-on enlevé Desgenettes ? Je veux des médecins qui aient des couilles » aurait dit l’Empereur qui ne bannit pas celui qui lui tient tête, sans pour autant le vénérer.
Un médecin que l’on retrouvera du côté de la Berezina. Fait prisonnier, il écrira au tsar de Russie, sollicitant « quelques droits à la bienveillance » au vu des soins prodigués aux prisonniers de la France. Le tsar aurait répondu que Desgenettes méritait non seulement la bienveillance mais aussi la reconnaissance de toutes les nations. Et que son nom méritait d’être inscrit en lettres d’or sur les Pyramides.
Européen
Desgenettes qui était à Waterloo. Et qui est peut-être, sans doute, à l’origine d’une fuite : ce jour de défaite, Napoléon avait la chaude-pisse.
Desgenettes qui a traversé la Restauration et continué d’afficher son indépendance d’esprit : il démissionnera de l’Académie de Médecine.
Desgenettes, né à Alençon en 1762, et dont la famille a des racines à Essay, dont la formation (sous l’Ancien régime) l’a conduit en Angleterre et en Italie avant d’achever ses études de médecine à Montpellier. Desgenettes « passeur de connaissances transformant l’art de guérir », même si « ses actes ont été oubliés, en grande partie pour consolider la gloire de Pasteur », confie Bernard Loustalot.
Homme de culture et de réseau également : humaniste, « très sociable, c’était un pilier de salon ayant envie de briller en société ». Et qui fut peut-être « critique d’art sous un pseudonyme ».
Négligé à Alençon ?
Un homme « relativement ambitieux, à la modestie relativement limitée, courageux face à Napoléon mais qui a coupé les ponts avec son fils au lieu de l’aider à affronter ses problèmes ». Un homme « anti-clérical, déiste, mais mettant sur un piédestal les Jésuites pour leur soif de connaissances et la qualité de leur enseignement ».
Dans sa ville natale, Desgenettes a sa rue * et un pavillon de l’hôpital porte son nom. Mais Alençon reconnaît-elle suffisamment cet enfant ? Non, selon Bernard Loustalot qui regrette que, naguère, la Ville ne se soit pas montrée intéressée par la vente aux enchères de documents sur ce médecin. Et que le souhait exprimé en 1937, année du centenaire de sa mort, d’ériger une statue à son effigie… soit resté vœu pieux.
Alençon néglige peut-être un aspect de son Histoire : celle de personnages de la Révolution et de l’Empire. Desgenettes donc, mais également Hébert, Valazé, La Billardière, Cavalier, et le voisin de Sées, Conté.
JMF
* anciennement rue Petithomme