« Y’a un mort. Dépêchez-vous ». En appelant les secours, le 2 décembre 2013, ce locataire du quartier de Perseigne pensait avoir assisté à un homicide. Quelques minutes plus tôt, dans son appartement, s’est déroulée une scène d’une rare violence. Les murs sont maculés de sang, le mobilier est sens dessus dessous. Mais la victime, frappée de plusieurs coups de couteau, est bien vivante. Elle a réussi à s’échapper, et s’est réfugiée chez une voisine, à l’étage supérieur. Lundi 29 février, le miraculé était à la barre. Devant la Cour d’assises de l’Orne, il a raconté comment, ce soir de soûlerie, il a failli mourir.
« Je me suis vu mourir »
Comme « d’habitude », la victime et l’accusé s’étaient retrouvés dans l’appartement d’un troisième compagnon de boisson, rue Victor-Hugo, à Alençon. « On a bu des bières, de la vodka, fumé des joints ». Les trois compères ne sont pas « amis » mais (très) habitués de ce genre de soirée, qu’ils organisent plusieurs fois par semaine. Souvent, victime et accusé ont des sujets de discorde. « Quoi, par exemple ? », interroge le président, Erik Tessereau. « Le foot », répond la partie civile.
Mais, ce soir du 2 décembre, la victime l’assure : le ton n’est pas monté. Pourtant, peu avant 21 h 30, elle reçoit brusquement un coup de couteau. La lame, plantée dans son thorax, s’enfonce jusqu’à la garde (causant une plaie de huit centimètres de profondeur). Elle perfore le poumon gauche. Déplace une côte fixe. La victime retombe sur le canapé duquel elle s’était levée pour serrer la main de son agresseur : « Il avait mis sa veste. Je pensais qu’il partait. Je voulais lui dire au revoir », raconte l’Alençonnais âgé de 33 ans, sous curatelle renforcée depuis 2006.
« Lui » : un Anglais âgé de 55 ans, arrivé en France en 2000 (et dans le quartier de Perseigne en 2003). Accusé de « tentative de meurtre », l’homme à l’allure athlétique nie avoir voulu tuer, et soutient qu’il y a bien eu une dispute et des échanges vifs, ce soir-là. « Il m’a agacé, insulté, j’ai sorti le couteau pour qu’il arrête, pour lui faire peur. Je l’ai poussé avec le couteau dans la main, c’était accidentel », répète-t-il, dans le box des accusés (le quinquagénaire est détenu depuis les faits).
Mais le coup d’estoc, porté dans la région précordiale, n’est pas compatible avec cette version. Ni avec le reste de la scène : plusieurs autres coups sont portés (en tout, six plaies ont été dénombrées, sur la nuque et la tête, ainsi qu’au thorax), la victime est jetée contre un mur, et heurtée (alors qu’elle est à terre) par la table basse de 22 kg que lui lance le robuste Britannique.
Pour l’avocat de la victime, Me Axel Sandberg, il n’y a pas de doute :
« Au moment précis où il plante le couteau, l’accusé voulait donner la mort. Il voulait que l’autre se taise. Le coup a été donné pour obtenir le silence ».
L’avocat général, relève, lui, une déclaration de l’unique témoin de la scène (locataire de l’appartement, aujourd’hui décédé) : « Fallait voir l’engin ». « C’est-à-dire la machine à tuer », traduit François Coudert, qui, dans son réquisitoire, a mis en exergue l’intention homicide. « L’accusé a planté son couteau, fort –un bleu sera constaté autour de la plaie, en disant « je vais te tuer ». Il a visé la zone du cœur ». C’est cette volonté homicidaire – « fugace soit-elle », que l’avocat général a demandé aux jurés de retenir. Parce « qu’on touche à la valeur vie », il a requis une peine de quinze ans de prison, ainsi que l’interdiction de territoire français pendant 10 ans.
La Cour a rendu son verdict en fin de journée : les jurés ont estimé qu’il y avait bien eu tentative de meurtre. L’accusé a été condamné à dix ans de prison.
Lire le compte-rendu d’audience dans l’Orne Hebdo du 8 mars