Il a dans les mains ses derniers bulletins d’indemnisation : celui d’août, et celui de septembre. Entre les deux, le montant de sa rémunération a changé : il a chuté de 138 €. Le travailleur handicapé de l’Adapei (Association d’aide et de soutien aux personnes handicapées mentales et à leur famille), usager depuis plus de 20 ans de l’Esat (Établissement et service d’aide par le travail) de Bellevue, à Alençon, voit pour la première fois sa rémunération fondre. « Normalement, c’est plutôt censé augmenter avec les années ».
Celui qui fait l’objet d’une mesure de curatelle renforcée préserve son anonymat mais a la ferme volonté de « dénoncer » : « Nous sommes une centaine à être concernés, et nous n’allons pas en rester là », prévient-il. Car les majeurs protégés ont, eux aussi, le droit de s’exprimer : « Nous avons des choses à dire et réfléchissons à la création d’un collectif pour clamer notre désarroi ».
Perte de 25 € par mois
Pour faire face aux difficultés traversées par le pôle « travail protégé », l’Adapei a pris des mesures d’urgence (lire encadré).
« Je touche environ 730 € bruts par mois, plus une rémunération dont le pourcentage par rapport au Smic évolue selon ma date d’entrée dans l’Esat », explique le quadragénaire. Dans son cas, c’était 15 % du Smic brut, soit 219, 99 € par mois.
« La direction a décidé de plafonner cette deuxième indemnisation à 5,1 % du Smic. En face, l’augmentation de l’allocation aux adultes handicapés – AAH – ne compense pas cette baisse », déplore-t-il.
Au final, il perd 25 € par mois. « Inadmissible », « inacceptable » et « injuste », estime-t-il. « Je refuse de rembourser les dettes de l’Adapei », indique celui qui a, lui aussi, des prêts à honorer.
« J’ai une maison sur le dos, je dois payer chaque mois ». Le propriétaire va devoir revoir l’ensemble de la gestion de son budget avec son curateur pour pouvoir « continuer à vivre ».
« La direction nous a proposé des titres-restaurant, chèques-cadeaux, et chèques-vacances en échange, ainsi qu’une carte carburant ou la prise en charge des transports en bus. Mais ça ne comble pas la perte de ma rémunération », affirme le quadragénaire.
Réadapter les budgets
L’UDAF (Union départementale des associations familiales) et l’ATMPO (Association tutélaire des majeurs protégés de l’Orne), qui suivent la plupart des salariés concernés par les modifications de rémunération, ont été alertées. Tout comme le juge des tutelles. « Nous avons demandé à être informés en amont des décisions qui seront prises par l’Adapei quant à son processus de redressement, et nous nous chargeons d’informer, immédiatement, les différents mandataires des changements de situation de nos usagers », explique Gaëtan Ferchaux, directeur de l’UDAF Orne. L’urgence est aussi « de réadapter les budgets de chacun ». Toutefois, le manque à gagner devrait être comblé dans le temps : « La compensation AAH va progresser pour assurer un même niveau de vie ».
« La priorité : préserver l’emploi »
« Nos entreprises adaptées, financées par nos fonds propres et qui doivent s’équilibrer par elles-mêmes, sont déficitaires. L’activité a chuté depuis la disparition de gros donneurs d’ordres sur le territoire, comme Moulinex. Aujourd’hui, nous n’avons plus de fonds de réserve. Nous avions déjà dû réduire la voilure en 2009, en supprimant 25 postes. Ces ateliers de production et de services sont adossés à nos Esat. Eux aussi, connaissent donc d’importantes difficultés », explique Thierry Mathieu, président de l’Adapei.
Pour « préserver l’emploi » du pôle « travail protégé », le plan de redressement et de correction interne de l’Adapei prévoit le plafonnement à 5,1 % de la seconde indemnisation versée à certains usagers d’Esat (une centaine). « Une somme prélevée sur nos fonds propres, et dont nous faisions cadeau à la Caf – Caisse d’allocations familiales », décrit le président. Avec cette mesure, l’Adapei table sur une économie annuelle de 500 000 €. Les chèques-cadeaux, chèques-vacances et Ticket restaurant sont un « dispositif tampon », le temps que la Caf prenne le relais avec le versement de l’AAH.
Th. Mathieu l’assure : « Avec l’ajustement de l’allocation, le reste à vivre sera identique ». Les travailleurs devraient par ailleurs être éligibles à la prime d’activité. Quelles solutions sont envisagées pour faire perdurer les Esat (450 usagers en tout) à long terme ? « Nous rationalisons nos méthodes de production et nous nous positionnons sur de nouveaux projets : on ne laisse pas tomber l’affaire ! ».