Ne roulez pas trop vite. Ouvrez les yeux.
Ces publicités-là sont moins agressives que les panneaux « quatre mètres par trois » d’aujourd’hui.
Ces publicités-là, ce sont les publicités murales peintes. Celles qui, il y a un demi-siècle, jalonnaient essentiellement les grands axes qui sentaient les vacances : la Nationale 12 et l’ex-Nationale 138.
C’était l’époque de la « douce France », cher pays de notre enfance, et les automobilistes traînaient, alors qu’aujourd’hui l’heure est davantage à la traînée de poudre. La poudre des armes, et la poudre aux yeux.
Il y avait, semble-t-il, davantage d’authenticité dans cette France des « Trente glorieuses », celle de l’automobile en plein essor. Au volant d’une R 4, d’une 2 CV ou d’une 404, comme Jack Kerouac aux États-Unis on se retrouvait volontiers sur la route.
La société de consommation
Sur des axes moins rapides, avec des bagnoles moins sûres, sans autoradio. Alors, on observait davantage le paysage. Un monde naissait : celui de la société de consommation, jugée synonyme de progrès.
Son corollaire ? La publicité. Sur des grands formats. En pleine ligne droite ou dans un virage, surgissait sur un pan de mur une réclame : huile Labo ou Renault, machine à laver Atlantic, téléviseur Radiola, apéritif Dubonnet, essence Total… La gamme était limitée. À croire qu’à cette époque on se contentait de circuler, de se laver, de regarder Léon Zitrone et de boire de l’alcool : ce n’est qu’en 1970 que fut institué un taux d’alcoolémie (0,8 gramme par litre de sang, à l’époque).
Chevaliers des belles lettres
Comment ont été peintes ces publicités ? Sans doute par des gens parfois juchés sur des échelles. Des pubs peintes une par une par des chevaliers de l’art et des belles lettres. Rien à voir avec les affiches en papier collées au balai-brosse.
Parfois, les pubs s’empilent sur le pignon élu matière à réclame. Et donc espace à coloniser.
Usées par le temps
Aujourd’hui, ces publicités sont à peine entrevues. Elles sont usées par le temps. Le poids des ans qui s’écoulent. Le poids des caprices de la météo. Le poids du « plus vieux » et le poids du « pluvieux ». Le poids de l’érosion éolienne dont parle l’écrivain Jean Echenoz dans « L’occupation des sols ». Le poids des (ré) aménagements sans ménagement.
Le pays d’Alençon a donc ses publicités murales peintes, vestiges d’une époque révolue, d’un style, d’une ambiance. Un patrimoine en péril.
À Alençon, le ravalement d’une maison a fait disparaître une pub pour Simca. Toutes les publicités murales peintes sont en péril. Elles réclament donc notre attention. Pour les voir, les observer, les sauvegarder.
Les peintures murales murmurent. Puissent les pouvoirs publics, et les propriétaires, les entendre.
JMF